COVID-19: les causes perdues

 

Avec les mesures d’assouplissement du confinement qui se mettent en place dans plusieurs pays, ou tout du moins qui sont annoncées, nous pouvons lire de plus en plus d’articles sur les prochaines étapes, le « what’s next ».

J’ai pu en voir de nombreux insistant sur à quel point la vie ne sera plus pareille, sur la façon dont nous allons devoir adapter nos comportements dans les lieux publics surtout, mais aussi en privé. Principalement, j’ai vu des articles traitant sur le futur du travail – en voici un, très intéressant, sur l’évolution possible du travail en bureau.

Il est certain qu’il est aussi intéressant que nécessaire de s’interroger sur la suite, sur la façon dont nous pourrons éviter de telles situations à l’avenir. Mais je ne peux m’empêcher de déplorer à quel point l’on se focalise sur les symptômes, et non sur les causes. Nous perdons de vue ce qui nous a réellement amené là où nous sommes aujourd’hui.

Si nous vivons aujourd’hui une pandémie, ce n’est pas à cause de notre façon de nous saluer. Ce n’est pas à cause de notre façon de faire la queue à la poste. Si nous en sommes là, c’est parce que nous détruisons l’habitat d’autres espèces, ce qui les amène à vivre de plus en plus près de nous et à favoriser ainsi la transmission de maladies. C’est parce que nous capturons des animaux sauvages et les « stockons » de façon irresponsable et irrespectueuse, avant de les manipuler et les consommer, favorisant là aussi la transmission de maladie.

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Si nous ne comprenons pas cela, si nous ne remontons pas plus en amont sur les réelles causes de tout cela, nous continuerons à nous exposer à de telles pandémies – que l’on perçoive cela comme une forme de retour de karma ou non. Nous pourrons certes continuer à réorganiser nos bureaux, à améliorer nos moyens de communication à distance, à être de plus en plus autonomes dans notre production de masques et gels hydroalcooliques – mais nous n’endiguerons pas les réelles causes.

Je ne suis bien sûr pas épidémiologiste. J’ai simplement une petite expérience dans la résolution de problème, et je sais qu’un principe simple dans ce domaine – très bien détaillé par exemple dans l’excellent Upstream, de Dan Heath – est de s’attaquer à la source, à la cause, plutôt que de sempiternellement gérer les crises qui en découlent. Je sais aussi que les experts plaident de plus en plus pour une approche « One Health« , connectant la santé humaine, animale et environnementale.

Alors oui, nous devrons encore respecter les règles d’hygiène pendant un certain temps. Oui, et je l’espère du fond du cœur, cette situation aura permis à certains employeurs de réaliser la pertinence du travail à la maison. Mais je crois qu’il est encore plus fondamental de réfléchir à ce qui nous a réellement mené à tout ça, et mettre définitivement l’humain, l’animal, le végétal et l’environnement dans son ensemble au centre de nos préoccupations.

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Seb et réparabilité: bon sens ou responsabilité sociale?

« Seb va réparer tous ses produits », peut-on lire dans la presse récemment. « C’est bien », répondront les plus malins d’entre nous.

La nouvelle a été plutôt bien reçue. On salue même cet engagement qui risquerait de faire baisser les chiffres de Seb: on répare plutôt que de racheter un nouvel appareil, ça coûte forcément moins cher, et donc ça rapporte moins à Seb. On passera sur les raccourcis d’un tel raisonnement (si mon appareil rend l’âme rapidement, je ne vais pas forcément le racheter chez Seb, bien au contraire), pour se concentrer sur ce qu’une telle décision implique en termes de responsabilité sociale.

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Est-ce vraiment de l’ordre de la responsabilité sociale – de Seb en l’occurrence – que de fabriquer des produits que l’on peut réparer?

Sur le site de la Commission européenne, on peut lire qu' »une entreprise est considérée comme socialement responsable lorsqu’elle se donne, dans le cadre de ses activités quotidiennes, des objectifs sociaux et environnementaux plus ambitieux que ceux prévus par la loi. » (d’autres définitions de la RSE ici). Si l’on retient cette idée que la RSE se définit par le fait d’aller plus loin que la loi, par rapport aux dimensions sociale et environnementale, et si l’on part du principe que la « réparabilité » d’un produit tombe dans la dimension environnementale, on peut alors se demander si cette mesure de Seb relève de sa responsabilité sociale.

On sait qu’en France, depuis environ un an, l’obsolescence programmée est considérée comme un délit. Donc, pour ne pas être hors la loi, pas d’obsolescence programmée, tout simplement. Faire en sorte que des produits soient facilement réparables pourrait donc être considéré comme « aller plus loin que la loi ».

J’ai conscience de faire ici beaucoup de raccourci, et que le raisonnement qui m’amène à dire que l’augmentation de la réparabilité relève de la responsabilité sociale peut être discuté (j’en serais d’ailleurs ravi!). Mais pour l’heure, admettons.

Il n’en reste pas moins que je ne peux m’empêcher de me dire que faire en sorte que ces produits soient réparables, c’est la moindre des choses. Ou plutôt que c’est du bon sens, tout simplement. On lit dans l’article cité plus haut que cet aspect est « une démarche d’autrefois totalement oubliée à l’ère de la surconsommation », je crois que cela résume bien la situation. Et que le mot « surconsommation » rappelle que la responsabilité n’incombe pas qu’à Seb, mais aussi aux consommateurs.

Qui peut en effet dire si les individus vont effectivement réparer leurs appareils, plutôt que d’en racheter? En cas de succès de cette initiative, le crédit serait-il à mettre au compte de l’entreprise ou des consommateurs?

L’initiative est louable, c’est une certitude, il en faudrait davantage du même genre. Mais il serait trop simple de s’arrêter là, de dire bravo, merci, et au revoir. J’attends pour ma part avec impatience de connaître l’évaluation de cette mesure, dans un an.

La Suisse parmi les leaders de la responsabilité sociale des entreprises, vraiment?

En début de semaine passée, on pouvait lire dans Le Temps un article intitulé « La Suisse classée parmi les «leaders» de la durabilité des entreprises« . Je me suis bien sûr empressé de le lire, ne serait-ce que pour entretenir ma fierté patriotique, mais aussi parce que j’étais curieux de savoir en quoi nous sommes leaders dans ce domaine.zurich-1577301_1280

L’article est basé sur un rapport de RobecoSAM, qui, en effet, loue de nombreuses entreprises basées en Suisse: Swiss Re, SGS, UBS. Mais on apprend assez rapidement que le rapport ne distribue pas de mauvais points puisqu’il ne mentionne que les 15% d’entreprises démontrant les meilleures performances en matière d’investissements durables.

Notre politique a toujours été de souligner les bonnes pratiques plutôt que de dénoncer des brebis galeuses. Dans une logique d’investissement, c’est également plus logique. explique Christopher Greenwald, chef de la recherche en investissement durable chez RobecoSAM.

Donc, on veut nous expliquer que la Suisse est leader en matière de durabilité d’entreprise, en se basant sur un rapport qui n’aborde pas les aspects négatifs…On l’a encore vu récemment avec l’enquête Dirty Diesel de Public Eye, la Suisse abrite pourtant son lot de « corporate criminals ».

Cela m’amène à plusieurs question sur la façon d’évaluer, d’apprécier la responsabilité sociale. Doit-on se concentrer sur les bonnes pratiques, en omettant ce qui est mal juste à côté? Peut-on féliciter une entreprise pour la façon dont elle traite ses employés, pendant que dans le même temps elle pollue la rivière derrière l’usine? Doit-on au contraire mettre en avant les entreprises faisant le moins de mal, à défaut de faire beaucoup de bien? La responsabilité sociale consiste-t-elle à ne pas faire de « mal non-nécessaire », comme l’a dit Patagonia? Ou au contraire faire le plus de bien possible?

Je n’ai bien sûr pas la réponse à tout cela, mais à mon sens, il faudrait commencer par un « socle » qui consisterait à ne pas faire de mal. Puis à tendre vers des pratiques bénéfiques pour la société et la planète. Cela rejoint peut-être les idées de « carbon neutral » et « carbon positive », même si je n’aime pas ces termes.

Et vous, qu’en pensez-vous?

 

Bonus des dirigeants de Volkswagen: l’autre solution

business-1370952_1280On a pu lire beaucoup de choses sur le scandale de Volkswagen et ce qui s’en est suivi, au cours des derniers mois. On a notamment pu lire que les dirigeants de VW n’allaient pas renoncer à leur bonus. Plus tard, on a pu lire que si, ils y renonçaient: mais seulement en partie – 30% – et que ce n’est en fait pas un renoncement, mais un « gel » des bonus. Bonus gelés donc, qui pourront être touchés dans 3 ans, « si la performance boursière est au rendez-vous ».

Je ne vais pas me prononcer sur le fait qu’ils puissent toucher des bonus après ce qu’il s’est passé. J’ai mon avis là-dessus, et vous aussi certainement.

Admettons cette idée de toucher un bonus comme normale et acceptable. Admettons que le fait de reporter ce bonus « à dans trois ans » fasse du sens.

Ne s’agit-il pas – qui plus est étant données les circonstances – d’une occasion remarquablement manquée? Une occasion de lier l’obtention de ces 30% de bonus non pas à la performance boursière, mais à la performance environnementale.

N’aurait-on pas pu imaginer que les dirigeants touchent leurs bonus dans 3 ans si « la performance environnementale est au rendez-vous »? Sans connaître véritablement la faisabilité d’un tel calcul, j’imagine que l’on aurait pu évaluer le surplus de pollution causé par les véhicules dont les tests ont été truqués. A partir de là, on aurait pu imaginer que les dirigeants n’auraient touché leurs bonus qu’à la condition que ce surplus ait été compensé, d’une manière ou d’une autre. Il faudrait bien sûr consacrer plus que ces quelques lignes pour trouver une solution acceptable, mais pourquoi pas?

G4-51 b. Report how performance criteria in the remuneration policy relate to the highest governance body’s and senior executives’ economic, environmental and social objectives.

La GRI préconise d’ailleurs que l’on rapporte sur le lien établi entre la rémunération des dirigeants et la performance environnementale, sociale et économique de l’organisation. Certaines entreprises, comme Intel par exemple, l’on déjà fait avec plus ou moins de succès et d’à-propos.

Une occasion que VW n’a pas su saisir.

Les + et les – du nouveau programme RSE de The Body Shop

The Body Shop – qui appartient depuis quelques années à l’Oréal – a récemment publié son nouvel engagement: enrichir sans exploiter. Il s’agit d’une série d’objectifs d’ici 2020, qui s’organisent selon trois axes:Commitment-Infographie

  • Enrichir les hommes;
  • Enrichir nos produits;
  • Enrichir notre planète.

Ces axes permettent de décliner 14 objectifs: 4 pour les hommes, 4 pour les produits, et 6 pour la planète. Bien sûr ranger les objectifs ainsi est quelque peu trivial, puisque nombreux sont ceux qui touchent 2 voire 3 axes.

J’ai eu envie de réagir par rapport à ces objectifs, insister sur quelques points positifs, quelques points négatifs, et surtout poser quelques questions.

Je trouve l’ensemble de ces objectifs très clair et cohérent. Les thématiques importantes pour ce secteur sont abordées (packaging, traçabilité des ingrédients – la question des tests sur les animaux n’en étant pas une pour The Body Shop). Je les trouve accessibles pour le grand public. Certains paraissent ambitieux.

D’un autre côté, je trouve dommage que – comme c’est trop souvent le cas – l’on ne sache pas pourquoi ces objectifs ont été fixés tels qu’ils l’ont été. Pourquoi a-t-on décidé de réduire de 10% l’utilisation d’énergie dans les boutiques, et pas 15%, 50%, ou 8%? Est-ce que cet objectif a été calculé sur la base des projections de ce que The Body Shop pense aujourd’hui être un objectif raisonnable pour 2020? Ou cet objectif a-t-il été calculé ainsi en fonction, par exemple, des Objectifs de développement durable et de ce qui a été estimé comme étant la part raisonnable de The Body Shop dans l’effort global nécessaire pour atteindre les ODD?

On ne sait pas ce que représentent la plupart de ces objectifs par rapport au contexte de développement durable actuel, et je trouve que c’est un problème généralisé chez les entreprises. Et puisque je parle de contexte, comment ces objectifs s’inscrivent-ils dans la stratégie de la maison-mère, L’Oréal? Quand The Body Shop vise à préserver 10’000 hectares de forêts et d’habitats naturels, comment cela se compare par exemple à l’objectif « Zero Deforestation » de L’Oréal USA?

En définitive, je dirais que ces objectifs sont très bien en soi, mais que tout cela manque de contexte. Contexte par rapport à la maison-mère, par rapport au secteur, par rapport au développement durable. On me reprochera de pousser le bouchon un peu loin, mais on pourrait même imaginer pouvoir comparer l’objectif de The Body Shop d’encourager 8 millions de personnes à soutenir la mission « Enrichir sans exploiter », avec l’objectif, aussi d’ici 2020, d’Unilever de toucher 400 millions de consommateurs avec des produits qui vont les aider à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre lorsqu’ils lavent et se douchent. Sans contexte, cette comparaison paraît impossible, mais je suis sûr que si d’un côté comme de l’autre on nous donnait plus d’informations sur la façon dont se justifient ces objectifs nous, consommateurs, serions plus à même d’en évaluer la réelle portée. Et ainsi de décider où dépenser notre argent.