Higher Ground – Guide pour les organisations responsables

Il y a quelques mois, et à la suite de plusieurs échanges avec son autrice, j’ai eu le plaisir de lire en avant-première Higher Ground – How Business Can Do the Right Thing in a Turbulent World, par Alison Taylor.

Il a déjà été dit à plusieurs reprises que ce livre de non-fiction se lit comme un roman. C’est vrai. Mais je dois dire que ma première réaction, à la lecture des premières pages, a été de me sentir submergé. Submergé par tous ces problèmes qui peuvent potentiellement nous arriver lorsque l’on se trouve à la tête d’une organisation (et même si l’on ne se trouve pas à sa tête, pour être honnête). Le livre d’Alison Taylor nous fait prendre la pleine mesure de ce qu’une organisation responsable – et un leader responsable – peut avoir à faire face. Et le scandale est à tous les coins de rue, accompagné d’un employé mécontent ou d’une demande inattendue d’un stakeholder.

Mais si Alison Taylor dresse devant nous un reality-check impressionnant, elle sait le faire d’une façon qui laisse entendre que si l’on poursuit la lecture de Higher Ground, on va trouver les solutions à tous ces problèmes. C’est là qu’entre la dimension « se lit comme un roman »! On tourne les pages, on veut savoir! On en arrive à un point où l’on se demande si c’est le majordome qui a causé tous ces problèmes organisationnels. Bon, j’extrapole peut-être un peu trop… Mais vraiment, on tourne les pages sans s’en rendre compte. A une époque où la bataille pour notre attention fait rage, c’est bon de dire cela d’un non-fiction.

Je dois aussi souligner qu’un aspect qui m’a particulièrement plu, c’est le côté « zéro bullshit » de ce livre. J’ai moi-même depuis près de 15 ans déploré l’énergie et le temps perdus à débattre du nom que l’on devait donner à ce que nous faisons: corporate responsibility, corporate social responsibility, business ethics, corporate citizenship, ESG, sustainability…Pour moi, il s’est toujours agit d’impact, peu importe l’étiquette que l’on met là-dessus. Et quelque part, c’est aussi ce que dit Alison Taylor: il s’agit de faire ce qui est juste. Cela paraît un détail, mais je vous promets que j’ai vu beaucoup d’auteurs bien intentionnés se noyer dans la forme sans jamais toucher le fond. Cette promesse tenue tout au long du livre par Alison Taylor contribue grandement à le garder passionnant du début à la fin: on y parle de concret, on y parle de ce qui est juste et de ce qui ne l’est pas, car quoi qu’on en dise, cela reste assez facilement identifiable. Le livre est donc aussi un guide, qui nous met entre les mains des outils pratiques et une façon de penser qui nous permettent de nous dire que nous saurons quoi faire si nous nous retrouvons dans des situations complexes et sensible telles que celles décrites.

Enfin, j’aimerais souligner que j’ai découvert ou redécouvert des champs d’application grâce à ce livre. Si toute la table des matière mériterait d’être citée, je me concentrerais sur trois points en particulier: ethical culture, values & impact, corporate political responsibility.

Sans spoiler le contenu, je dirais que les deux premiers sujets sont enfin abordé d’un point de vue moderne, répondant aux impératifs de 2024. Dieu sait si des termes comme culture, valeurs, impact peuvent faire un joli bullshit bingo…Ici, Alison Taylor les traite de manière concrète, avec une approche pragmatique. Elle en fait de vrais champs de questionnement, pouvant mener à des actions ou des politiques concrètes à mener au sein d’une organisation.

Quant à corporate political responsibility, je dirais qu’Alison Taylor a su mettre des mots et rendre opérationnelles des idées que j’avais depuis 9-10 ans. J’ai toujours eu la conviction que la corporate political responsibility était un vrai concept, et une vraie responsabilité! Mais je n’arrivais pas à le formuler autrement que comme « c’est quelque chose qui va au-delà du lobbying » ou « c’est toute cette dimension qui consiste, pour une organisation, à prendre en compte le contexte socio-politique ». Là aussi, pas de spoiler, mais une partie de moi a envie de vous dire que si vous ne deviez lire qu’un chapitre, lisez celui-ci. Mais aussi ne le faites pas. Lisez tout le livre. Maintenant.

En définitive et pour paraphraser ma dernière phrase, je dirais que s’il ne fallait lire qu’un seul livre cette année sur les questions de durabilité, de responsabilité et de leadership, ce serait Higher Ground.

Ou peut-être devrais-je vous le dire autrement.

Dans le cadre de la petite expertise que j’ai développée au fil des ans sur ces questions, il arrive que l’on me demande quelle certification, quel label il faut appliquer à son organisation pour la rendre responsable et durable. J’ai pour habitude de répondre que oui, on peut toujours devenir B-Corp, Ecocert, ISO 26’000… Ou qu’alors on peut aussi lire 3 bons livres sur la responsabilité organisationnelle et trouver quel est le chemin à suivre, par soi-même.

Je vais devoir mettre à jour ma réponse: on peut juste lire un bon livre sur la responsabilité organisationnelle. Higher Ground, par Alison Taylor.

Généraliste – Spécialiste – Sustainability certifications

Il y a quelques jours, je tombais sur cet article, présentant pas moins de 40 certifications en durabilité.

Cet article m’a interpellé. Pas tant pour son contenu – je n’ai pas de certification à recommander en particulier, ou d’avertissement à formuler – que par sa structure. J’ai en effet trouvé judicieux le fait de séparer les formations généralistes des spécialistes, et à l’intérieur de ces dernières faire encore des catégories.

Pour être plus précis, la structure est la suivante:

  • Certifications professionnelles générales en matière de durabilité et de changement climatique;
  • Certifications de rapports de durabilité et ESG;
  • Certifications de bâtiments « verts » (guillemets ajoutés par moi-même, pour des raisons évidentes);
  • Certifications liées à l’exploitation de l’environnement bâti;
  • Certifications spécifiques à une question ou à un secteur – parmi lesquelles:
    • ESG et finance durable (guillemets non-rajouté par moi-même, mais je n’en pense pas moins)
    • Gouvernance et risque
    • Économie circulaire
    • Ville et infrastructures
    • Autre spécialité

Encore une fois, je ne tiens pas à débattre du choix de ces catégories, ou de leur exhaustivité. Je tenais à souligner que c’est une tendance qui se confirme, à savoir une spécialisation des domaines de la durabilité, une tendance à donner de la granularité.

Je dois dire que cela crée chez moi un sentiment ambivalent. D’un côté, j’apprécie et vois cela comme une prise au sérieux des différents métiers de la durabilité. On n’est plus spécialiste en durabilité, on est spécialiste en « ESG et finance durable », on est spécialiste en « Economie circulaire ».

Bref, on est spécialiste.

C’est là que l’autre côté de mon sentiment intervient: quel avenir pour les généralistes? Il y a certes une catégorie consacrée à cela, mais elle reste maigre (5 formations) au regard du reste. Là encore, je me dois d’insister sur le fait que la liste n’est bien sûr pas exhaustive, mais cela ne m’empêche pas d’être intrigué.

Si je suis intrigué, c’est sans doute parce que je me définis moi-même comme un généraliste. Une définition de moi-même renforcée récemment par la lecture de l’excellent Range – Le règne des généralistes: Pourquoi ils triomphent dans un monde de spécialistes, de David Epstein, que je ne peux que recommander.

Et si je crois qu’il est important de continuer à former des généralistes en durabilité, en responsabilité sociale, c’est parce que j’ai l’intime conviction que ce sont eux et elles qui pourront amener la RSE et la durabilité à un niveau stratégiques dans leurs organisations. Ce sont ces généralistes qui auront la vue d’ensemble, qui sauront faire un tout cohérent de plusieurs initiatives éparses.

Alors bien sûr, il faut pour cela être une personne capable de penser en termes de stratégie. Ce n’est pas donné à tout le monde, mais ça s’apprend.

Nous avons besoin de personnes pensant en termes stratégiques, pour la responsabilité sociale. Nous devons les former, les certifier, et leur donner les clés.

Vision – Incertitude – Stratégie

Tous les 3 mois, je prends du temps pour faire un bilan des 90 derniers jours, et planifier les 90 prochains. C’est un exercice très important pour moi, qui m’amène à développer une vision, certes à court terme, de là où je veux me trouver.

Ca a été le cas ce 15 octobre. J’ai fait le bilan et me suis projeté dans les 90 prochains jours. Voici les premières lignes que j’ai rédigées:

A l’heure d’écrire ces lignes, nous entrons dans ce qui ressemble à une 2e vague. L’incertitude reste de mise, mais en regardant les plans de 2020, je vois que j’ai quand même pu avancer selon ce que j’avais prévu. Il faut en rester convaincu.

En les écrivant, je me suis rappelé les premières réflexions que je m’étais faites lorsque nous sommes passés en semi-confinement. Va-t-on pouvoir planifier quoi que ce soit, avec toute cette incertitude autour de la situation? Je me suis rapidement convaincu que oui, nous le pouvions et c’était nécessaire. Mais tout aussi rapidement, je me suis rendu compte que ce point de vue n’était pas partagé par de nombreux collègues ou partenaires. Je me suis donc demandé si j’allais pouvoir avancer malgré les réticences de parties prenantes importantes à se projeter.

C’est en faisant le bilan il y a quelques jours que je me suis rendu compte que oui, j’ai pu avancer. Par exemple, deux de mes grands objectifs pour cette année étaient de rejoindre un (advisory) board, et de me former.

Depuis juin, je suis officiellement membre de l’advisory board de Climate & Sustainability. J’en dirai plus dans un prochain article, mais allez jeter un œil à leur site web: le travail réalisé est fantastique!

A la fin du mois de septembre, j’ai commencé une formation avec l’IMD, « Strategy Execution » – là aussi, j’en dirai plus dans un prochain article, mais c’est vraiment passionnant!

En définitive, je suis persuadé que l’on peut avancer, que l’on peut faire des plans, quel que soit le degré d’incertitude auquel on est confronté, y compris chez les autres. Deux facteurs inévitables selon moi:

  • En être convaincu! Il faut de la volonté, se donner les moyens, et maintenir le cap. Ce même si, comme je l’évoquais, les personnes qui vous entourent ne partagent pas votre point de vue.
  • Se montrer « agile ». Si l’on a au préalable établi une vision, on trouvera toujours les moyens pour y arriver. Avec un point de départ et une destination, chacun saura adapter sa feuille de route, peu importe les circonstances.

Si l’on sait « pourquoi », on peut faire avec n’importe quel « comment », nous rappelle Viktor Frankl.

Et vous, quelles sont vos objectifs atteints en 2020 – contre vents et marées ou non?!

Entreprise contributive et modèles économiques – Interview de Fabrice Bonnifet

Fabrice Bonnifet, Directeur développement durable du groupe Bouygues, président du Collège des Directeurs du Développement durable (C3D), et co-fondateur de la plateforme Entreprise Contributive. Il est interviewé par Mathieu Calles, de Whaoueffect, avec qui j’ai collaboré sur divers projets.

Il nous parle de l’entreprise contributive, et de son rapport aux services écosystémiques. L’économie de la fonctionnalité tient également une bonne place dans son discours, et il souligne l’importance d’éduquer les parties prenantes de ce point de vue, afin d’augmenter les taux d’usage.

Il faut aussi libérer la capacité d’innovation au sein des entreprises. Il ne s’agit donc pas seulement d’une question de business model, mais aussi de management! Il faut redonner du sens à la raison d’être de l’entreprise.

Fabrice Bonnifet fait également le constat que l’environnement et le social, qui étaient une conséquence d’une bonne santé économique, deviennent maintenant une condition de la bonne santé économique. On est en train d’inverser le système.

Il espère que le défi climatique va se voir relever par un sursaut d’instinct de survie. Il va même jusqu’à avancer que dans 150 ans, l’on se dira que les business models ont changé relativement rapidement.

Ecoutez l’intégralité de son interview:

Faire mieux, ça ne suffira pas, il faut faire autrement, nous dit Fabrice Bonnifet. C’est justement ce que propose la plateforme: apporter des témoignages selon lesquels il est possible de faire autrement.

Merci à Fabrice Bonnifet pour son temps et pour l’excellente « food for thought » qu’il a partagé avec nous! Merci également à Céline Puff Ardichvili pour la facilitation de cet interview!

Responsabilité sociale, reporting, et efficience

typewriter-801921_1280Le vendredi 7 avril, j’ai eu le plaisir d’être invité par mes collègues responsables du CAS Développement durable post-2015, pour un brown bag lunch. Il s’agissait d’une présentation d’Esther Bares qui est en charge, entre autres, du reporting RSE chez Novartis.

La présentation visait à introduire la Global Reporting Initiative aux participants du CAS, et leur expliquer comment s’y prendre pour rédiger un rapport, tout en mettant l’accent sur certains challenges pouvant être rencontrés au cours du processus. Une présentation très intéressante!

Sans revenir sur toute la présentation, j’aimerais soulever et réagir à quelques points abordés au cours de ce brown bag lunch.

Esther Bares a semblé apprécier qu’au fil des versions, les lignes directrices de la GRI sont devenues de plus en plus complètes, avec de plus en plus d’informations à fournir. Selon elle, c’est signe que les attentes des parties prenantes sont de plus en plus prises en compte. Elle nous a aussi montré les nombreux cadres de reporting existant en sus de la GRI (CDP, UNGC, IIRC, etc.), et expliqué en quoi un rapport GRI bien construit permet de répondre plus facilement aux exigences de ces autres cadres. Enfin, répondant à la question d’un participant, elle nous a expliqué que la préparation du rapport occupait plusieurs personnes à plein temps pendant 3 à 4 mois. Tout cela m’amène sur un thème récurrent, celui de la « questionnaire fatigue ».

Certes, c’est une bonne chose que les rapports soient de plus en plus complets. Mais peut-on seulement imaginer la quantité d’information demandée par toutes ces parties prenantes que sont la GRI, le Global Compact, etc.? Les entreprises semblent se plier à toutes ces demandes. De peur d’être mises au pilori en cas de refus? Les entreprises ne devraient-elles pas pouvoir dire « non »?

Et que dire de la quantité de personnes mobilisées pour la seule rédaction du rapport? De 3 à 5 personnes à temps plein sur ce projet, pendant un trimestre, sans compter les heures passées par les collaborateurs d’autres départements (finance, RH…) dont l’aide est requise ponctuellement pour la collecte d’informations. Quand on sait la taille restreinte des départements CSR – quand ils existent – au sein des entreprises, cela semble monstrueux. Ce sont assurément des personnes talentueuses, qui pourraient être utilisées à d’autres projets stratégiques, plutôt qu’à la collecte d’information.

Je crois que la responsabilités sociale en est vraiment arrivée à un point où l’on doit parler non seulement de consolidation, mais aussi de simplification et d’efficience.

Le second point que je voulais soulever concerne une réponse apportée par Esther Bares à une question qui lui a été posée. Un participant voulait savoir comment « piéger » une entreprise sur la base de son rapport, comment trouver des informations qui pourraient servir de critiques. Notre conférencière a suggéré de chercher dans les notes de bas de page, dans les petits caractères. The devil is in the details, nous a-t-elle dit. We can agree to disagree, répondrais-je. S’il n’est pas injustifié de procéder de la sorte, j’ai plutôt tendance à penser que ce sont dans les non-dits, dans les informations manquantes, dans les blind spots, qu’il faut chercher.

Dans le cadre précis d’un rapport GRI, il s’agit de se référer aux principes de matérialité – les thématiques abordées sont pertinentes pour l’entreprise et pour ses stakeholders – et d’équilibre – des informations « négatives » figurent également dans le rapport. Il est vrai que cela demande plus de travail, plus de recherches. Peut-être même de mener une analyse de matérialité parallèle. Bref, mon avis est que pour pouvoir critiquer un rapport GRI, c’est principalement sur ce qui n’y figure pas qu’il faut s’appuyer.

En définitive, une présentation très intéressante et ayant suscité de nombreuses réactions et réflexions. Merci à Esther Bares et aux organisateurs du CAS Développement durable post-2015!