Non-essentiel – PIB – Bonheur

Alors qu’en Suisse nous sommes entrés depuis lundi dans une nouvelle phase de semi-confinement, j’ai été amené à m’interroger sur la notion de « commerces non-essentiels ». En effet, seuls les commerces jugés comme tels doivent fermer. Le débat fait bien sûr rage autour de la question de savoir ce qui est essentiel et ce qui ne l’est pas. Les fleuristes peuvent continuer à exercer, pas les libraires, par exemple.

J’avais lu sur Twitter quelqu’un qui disait comprendre à quel point il peut être difficile pour un commerçant de s’entendre dire que son commerce est non-essentiel. Ce peut être le projet de toute une vie, c’est dur voire inacceptable de l’entendre.

J’avoue avoir pour ma part une vision certes empathique mais aussi pragmatique. Sans doute que mon expérience dans la durabilité couplée à mon approche relativement minimaliste de la vie me font adopter cette position. Selon moi, il existe bel et bien des commerces non-essentiels. J’ai toujours en tête une enseigne se trouvant sur le chemin me menant de la gare à mon bureau: on y trouve principalement trois produits. Des trottinettes, des cigarettes électroniques, et des hand-spinners…Je ne pense pas que la fermeture de ce magasin rendra la population genevoise malheureuse.

Attention, je dis bien qu’il existe des commerces non-essentiels, mais aussi que les personnes y travaillant sont, elles, absolument essentielles. L’Etat se doit de les prendre en charge.

Ce qui m’amène à m’interroger aujourd’hui, c’est la difficulté que nous avons à nous mettre d’accord sur ce qui est essentiel ou non. Je le disais en introduction, les fleuristes peuvent continuer leur activité. J’en suis d’ailleurs ravi: c’est la reconnaissance que nous avons essentiellement besoin d’amener du beau, de la couleur dans nos habitats, mais aussi que les plantes, par leur présence contribuent à notre bien-être. Par contre, les librairies sont fermées. Lire un bon livre ne serait pas essentiel?! J’en doute fortement. Mais je reconnais aussi que c’est subjectif.

Hiérarchiser les besoins, Maslow l’a fait il y a bien longtemps. Et il faut dire que lorsque l’on débat de l’importance des fleuristes face à celle des libraires, l’on se trouve dans le haut de sa pyramide. Des problèmes de riches, des first-world problems. Mais malgré l’ancienneté de ces théories, on ne s’en sort pas.

Mon intuition est qu’il nous manque une mesure, un indicateur de ce qui nous rend vraiment heureux, de ce qui nous rend vraiment humains. De nombreux débats ont déjà été menés sur le non-sens qu’est le PIB comme mesure de la bien-portance d’un Etat, et le bonheur national brut du Bhoutan a été cité en exemple maintes et maintes fois.

Mais justement, au regard de notre situation, ne serait-ce pas le bon moment de relancer ce débat? Etablir, dans les grandes lignes du moins, ce qui contribue au bien-être national/régional/global? Avoir une théorie générale du bien-être, et appuyer dessus les décisions politiques y compris et surtout en temps de crise. Ce serait un choix fort. Un choix sans doute critiqué car il voudrait faire de quelque chose de subjectif – le bien-être – une base objective de décision. Mais nous devons avancer, en tant que communauté, et profiter de cette crise pour reconstruire de nouvelles bases. Bien au-delà d’un indicateur, c’est un concept de bien-être qu’il nous manque. A nous de le définir, dès à présent!

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Minder: une initiative responsable?

adam-smithLe 3 mars prochain, le peuple suisse aura à voter notamment sur l’initiative Minder: l’initiative populaire fédérale contre les rémunérations abusives (et son contre-projet indirect). L’initiative vise à compléter la Constitution fédérale en y introduisant diverses considérations. Le principal aspect est – selon moi – que les actionnaires pourront, au cours de l’assemblée générale, voter sur les rémunérations des dirigeants de l’entreprise  (argent et valeur des prestations en nature du conseil d’administration, de la direction et du comité consultatif). Il s’agit donc de donner aux actionnaires le droit d’accepter ou non la rémunération des dirigeants. Selon les promoteurs de l’initiative, cela devrait éviter les rémunérations dites abusives. Et selon ses opposants, cela devrait avoir des conséquences fâcheuses sur l’économie suisse en général.

Efforçons-nous de ne pas faire de politique, et posons-nous plutôt la question des enjeux autour de la rémunération des dirigeants et le « say on pay ». J’en soulèverai ici deux:

  1. Il y a tout d’abord une considération purement éthique, qui est celle de l’écart entre le plus haut et le plus bas revenu au sein d’une même entreprise. On peut légitimement penser qu’il n’est pas normal qu’un dirigeant ait une rémunération plus de 1’000 fois plus élevée que certains de ses employés. Toutes les responsabilités, les heures supplémentaires, les nuits blanches ne peuvent justifier de tels écarts. Ce d’autant plus lorsque l’entreprise licencie ses employés, mais c’est là un autre débat. Cela étant, où se situe alors la limite? Comment l’évaluer? Est-ce qu’une rémunération 500 fois plus élevée est plus éthique que 1’000 fois plus élevée? Ne sont-ce pas les bonus qui posent le plus de problème?
  2. L’autre enjeu est lié à la théorie de l’agence. Il y a une opposition entre le principal – l’actionnaire – et l’agent – le dirigeant de l’entreprise. En effet, le premier, propriétaire des moyens de production, veut rentabiliser son capital. Il cherche donc à toucher des dividendes. Le second veut quant à lui récolter les bénéfices de son action, et donc entamer le capital. On voit aisément le problème qui en découle, et les raisons pour lesquelles les actionnaires aimeraient avoir ce fameux say on pay, voire plus. Chercher à éviter les problèmes d’aléa moral ou d’antisélection peut paraître également légitime, mais comment faire concrètement alors qu’il y a à la base ce problème principal-agent? Les actionnaires ne vont-ils pas chercher à réduire les rémunérations non pas pour des raisons éthiques, mais pour leur propre intérêt, ce qui n’est pas plus responsable? N’est-ce pas ce modèle actionnaires-dirigeants qui est à repenser, plutôt que simplement les rémunérations?

Bref, nous sommes face à un problème épineux! Il faut peut-être trouver des solutions plus innovantes et créatives. Pourquoi ne pas regarder du côté des Benefit Corporations ou de systèmes d’attribution de bonus différents? Je vais tenter d’enrichir la discussion avec d’autres articles ces prochains jours.