Anonymous – Données – Responsabilité

Le 22 mars, le collectif de hacker Anonymous a publié 10 Go de données de l’entreprise suisse Nestlé. Il s’agit de représailles du collectif pour la poursuite des activités de l’entreprise en Russie.

Une information contestée par Nestlé. Ils ont par la suite avancé que les données avaient été « leakées » par eux-mêmes, involontairement.

Si vous aviez lu le titre de cet article en 2021, y auriez-vous compris un traître mot? Nestlé denies it was hacked by Anonymous, claiming it accidentally leaked data dump itself—but it will stop selling Russians Kit Kats and Nesquik

Il s’agit aussi d’un signal, selon lequel les entreprises vont être amenées de plus en plus souvent à rendre des comptes. Non plus auprès des seuls États, mais aussi de la société civile, qui se manifeste sous différentes formes.

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« Faites ce qui est juste ou vous en subirez les conséquences. » C’est le message qui est envoyé ici, dans le cadre de cette terrible guerre. On peut imaginer que cela se poursuive avec la responsabilité environnementale et sociale des organisations. Cela s’inscrit dans un contexte où les appels au boycott se multiplient pour les organisations encore actives en Russie.

« Désinvestissez des énergies fossiles, ou nous divulguerons vos données. », « Abandonnez vos brevets sur ces semences, sur ces vaccins, ou nous gelons votre logiciel de payroll. » pourraient être de futurs cris de ralliement.

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Cela pose un certain nombre de questions importantes. Lorsque je paraphrase le message d’Anonymous en « Faites ce qui est juste ou vous en subirez les conséquences. », qui définit « ce qui est juste »? Un collectif de hacker est-il mieux placé pour ça qu’un gouvernement, qu’un tribunal? Est-ce que le fait que cela soit apparemment pour une bonne cause légitime l’attaque de hackers sur une entreprise? Bien sûr, l’inverse est vrai: on a vu les conséquences sur la vie de tous les jours des Russes des décisions de Google et Apple de suspendre leurs services « Pay » du pays.

Et quel point de vue adopte Nestlé? Je n’ai pas encore trouvé de réponse à cette attaque précise, mais de manière générale, la position de Nestlé a été de continuer ses activités sur territoire russe, tout au moins sur les produits de première nécessité. La déclaration du CEO de l’entreprise reste très basique et peu engagée.

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Je suis en tout cas persuadé que l’on assiste là à un nouveau tournant en matière d’activisme autour des activités des entreprises. Comme je l’évoquais plus haut, il y a tout à parier que ce genre d’initiative va se multiplier et porter sur des sujets environnementaux et sociaux.

Un mouvement intéressant est de voir que Bridgestone Tires est entré en contact publiquement, toujours via Twitter, avec Anonymous. Etayant sa position sur ses activités en Russie. Là aussi, il est frappant de voir ce « stakeholder engagement » être porté sur la place publique. L’échange se fait en toute transparence – du moins c’est ce qui est montré – car on imagine forcément une communication en coulisse.

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Axa et Nestlé parlent du changement climatique. Et n’auraient peut-être pas dû.

A la fin du mois de juillet, un article est paru dans Le Temps, intitulé « Le réchauffement climatique réconcilie impératif moral et impératif économique ». Celui-ci a été rédigé conjointement par Peter Brabeck-Letmathe et Henri de Castries, respectivement président du conseil d’administration de Nestlé SA, et PDG du groupe AXA.nature-845849_640

Le chapeau est déjà très intéressant car il nous dit que « Nous, Axa et Nestlé, assumons nos responsabilités sur les problématiques liées au changement climatique ». Voila qui promet beaucoup! Je me suis d’autant plus réjoui de la lecture de cet article que ce n’est pas tous les jours que l’on voit un tel article dans un grand quotidien suisse. Comme l’article est court, je n’ai pas pris trop de temps pour déchanter…

L’impératif moral est introduit via l’encyclique du pape François. Les deux auteurs nous disent que cet impératif moral est l’une des raisons pour lesquelles ils assument leurs responsabilités. L’exemple donné par Axa est plus qu’intéressant puisque l’on nous dit qu' »Axa est ainsi le premier assureur mondial à se désengager du charbon, énergie fossile la plus polluante, en diminuant ses investissements dans les activités liées à ce secteur ». Je ne vais pas chipoter en disant que réduire ses investissements ne signifie pas que l’on se désengage. Ce qui me pose vraiment problème, c’est cette affirmation « nue » sur cette diminution: pas de chiffres à l’appui, pas d’objectifs, rien. On diminue, voila. L’affirmation de Nestlé sur l’utilisation de l’eau subit le même constat: on ne sait pas combien, comment, quand.

L’autre point qui me pose problème est celui du lien entre Axa et Nestlé. Aucune indication n’est donnée quant à ce qui justifie la rédaction de cette article à deux mains. A la lecture de celui-ci, on a vraiment l’impression que l’article a été fait comme ça, sans vraiment de stratégie, sans que l’on permette au lecteur de comprendre ce qui relie ces deux entreprises, si ce n’est l’épiphanie selon laquelle le réchauffement climatique réconcilie deux impératifs jusque là apparemment opposés. Pourquoi Axa et Nestlé, et pas Axa et PwC, ou Nestlé et Unilever? Il y aurait eu des liens à faire entre les activités des deux entreprises – par exemple sur l’eau – et cela aurait été passionnant.

Enfin, je reviens sur le chapeau de l’article dans lequel les deux auteurs expliquent assumer leurs responsabilités. Arrivé à la fin de l’article, on ne sait pas quelles sont ces responsabilités. L’impératif moral dont on nous parle dit qu’il incombe à chacun d’agir. Mais on ne nous parle pas de responsabilité parce que l’une ou l’autre de ces entreprises aurait contribué à ce réchauffement climatique. En somme la responsabilité qu’assument les deux entreprises n’est pas différente de celle de tout individu: il faut agir parce qu’il faut agir. Et pas parce que l’on peut avoir un vrai impact sur la situation, dans le bon ou le mauvais sens.

Ce qui me déçoit profondément, c’est qu’un tel article soit paru dans la presse « classique ». Bien écrit, il aurait pu toucher une partie de la population qui n’a pas l’habitude de ce genre de mise en perspective, ou peut-être même qui ne sait pas que les entreprises se soucient du changement climatique. Là, il donne juste du grain à moudre à ceux qui ont la gâchette greenwashing facile.

Edit: le jour de la parution de cet article, j’ai été contacté, via Twitter, par Emmanuel Touzeau, Directeur de la communication du groupe AXA. Celui-ci m’a envoyé trois tweets pour préciser certains aspects évoqués dans cet article. Je pense que c’est une démarche que l’on ne peut qu’encourager, et suis ravi de voir qu’Axa est ouvert au dialogue.

  1. Merci de votre analyse, on ne peut tt dire dans un article, vs trouverez ici + de détails sur nos actions.
  2. Il s’agit pour AXA d’un désinvestissement de 500m€ dans les entreprises de charbon. Dégagement total, une 1ère dans l’assurance.
  3. Nestlé & AXA sont 2 grandes marques mondiales, partagent une même vision sur bcp de sujets, sur le climat ou l’emploi des jeunes.

Une Nouvelle Bottom Line?

Bottom LineDans le système économique qui est le nôtre, l’objectif de la quasi-totalité des entreprises est la maximisation du profit. En stimulant la consommation, en réduisant les coûts, etc. Toutefois, les courants de pensée liés au développement durable, ou à la responsabilité sociale, proposent de plus en plus des alternatives à cet objectif de maximisation du profit, et – finalement – à cette façon de mesurer la performance d’une entreprise.

Par exemple, la notion de Triple Bottom Line (TBL) est une des idées par lesquelles le développement durable se traduit au sein d’une entreprise. Le terme est une allusion à la « bottom line », la ligne de résultat net dans les comptes d’une entreprise. Elle est appelée triple car elle évalue la performance de l’entreprise selon trois approches : sociale, environnementale et économique. On utilise également souvent les termes « People, Planet, Profit », y compris dans la littérature francophone, pour désigner ces trois approches.

Pourquoi ne pas aller plus loin – et peut-être faire plus simple aussi – et imaginer une nouvelle bottom line? Dans cette vidéo, Muhammad Yunus parle d’une compagnie dont la bottom line serait « combien d’enfants sont sortis de la malnutrition ».

Plutôt que de savoir « combien d’argent avons-nous gagné cette année? » – ou « en plus de » – pourquoi ne pas établir pour chaque entreprise une Nouvelle Bottom Line? Quelle serait-celle de Nestlé? Quelle serait celle d’une chaîne de supermarchés? Quelle serait-celle d’une entreprise de téléphonie mobile? Je suis persuadé que l’idée mérite d’être explorée!