Faire le bien: plus facile à dire qu’à faire, et encore…

Dans le cadre de mes activités de consulting, je m’efforce d’aider une entreprise à définir sa mission. En l’état actuel des choses, celle-ci implique la notion de « bon choix ». Notion qui pose forcément problème, puisqu’il s’agit de définir ce qu’est le bon choix; et donc ce qui est « bien ».yin-and-yang-829613_1280
Qu’est-ce qui est bien? Si l’on se réfère à Descartes, « en recherchant la richesse, on fuit nécessairement la pauvreté »; c’est-à-dire qu’il n’y a aucun bien dont la privation ne soit un mal, et vice-versa. Mais est-ce vraiment vrai? Si je ressens une douleur localisée, c’est un mal. Mais l’absence de cette douleur ne veut pas nécessairement dire que je me sens bien.
Dans le cadre d’une entreprise, la question se pose. Est-ce qu’une entreprise qui ne fait pas de mal fait-elle nécessairement le bien? On pourrait dire qu’une telle entreprise se conforme à la loi. Elle serait donc dans un état de conformité, ce qui est en général considéré comme insuffisant du point de vue de la responsabilité sociale.
Patagonia dit qu’elle essaie de ne pas faire de mal « non-nécessaire », admettant donc qu’elle fait du mal. Celui-ci est inévitable, en l’état actuel des connaissances, des technologies. Il est pourtant difficile de penser qu’éviter de faire un mal non-nécessaire revient à faire le bien.
Pour compliquer encore les choses, on peut se mettre du point de vue du développement durable: si une entreprise lance un projet bon pour l’environnement, mais que celui-ci a des conséquences sociales négatives, ce projet est-il bien ou mal?
La phrase d’accroche bien connue désormais, « Doing well by doing good », semble simple, mais elle est en fait très compliquée. Difficile à faire, mais tout aussi difficile à dire! Comment une organisation peut-elle établir que ce qu’elle fait est bien, c’est peut-être la vraie question de la responsabilité sociale.
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« Achetez moins » – Patagonia augmente ses ventes!

Vous l’aurez peut-être vu, Patagonia a lancé il y a quelques années une campagne intitulée « Buy Less ». L’entreprise incitait ses (potentiels) clients à acheter moins, afin d’être plus responsables, plus soucieux de l’environnement. Un exemple des plus frappants ici et un article intéressant peut être lu .

Pendant les 2 ans qu’a duré cette campage, Patagonia a … augmenté ses ventes de 38%.Patagonia Buy Less

Alors, peut-on dire que le fabricant de vêtements américain a fait preuve d’une hypocrisie sans pareil? A mon avis, non. On peut même parler de génie. En effet, cette campagne Buy Less est couplée avec le fait que Patagonia propose des produits de grande qualité, qui plus est « garantis à vie ». Par conséquent, si je prends le parti de cette campagne et décide d’acheter moins, je vais typiquement me tourner vers ce genre de produits – peut-être un peu plus chers mais que je pourrai garder longtemps, et donc acheter moins sur le long terme.

Ce qui est intéressant de noter ici, du point de vue de la responsabilité sociale, c’est que Patagonia définit les règles du jeu. La compagnie dit qu’il faut acheter moins – elle pointe donc du doigt un « problème »: la surconsommation. Et justement, la solution à ce problème, Patagonia vous la propose en mettant à votre disposition des produits de qualité, qui dureront très longtemps.

La définition des enjeux, la définition des règles du jeu, la mise à l’agenda des problèmes qui doivent être traités, tout cela doit être primordial dans la création d’une stratégie d’entreprise prenant en compte la RSE. Si une entreprise arrive à prendre ce rôle de définition de l’agenda, elle aura une avance significative sur ses concurrents.

Patagonia et le coton bio

Parmi les nombreux exemples concrets de mise en application de la RSE au sein d’un projet d’entreprise, on peut citer celui du passage de Patagonia au coton bio, dans les années 1990.

Patagonia est une entreprises de vêtements de sports de montagne et de surf, fondée en 1972 par Yvon Chouinard. Dès sa création, Patagonia s’est démarquée comme une entreprise responsable. Il est donc peu surprenant d’apprendre que ses dirigeants font figure de pionniers lorsqu’ils décident de recourir au coton bio durant les années 1990. Lorsque cette décision est prise, il faut savoir que si la culture du coton ne représentait que moins de 3% des terres agricoles mondiales, 25% de l’utilisation mondiale d’insecticides et 10% de celle des pesticides lui étaient consacrée. Ne pas passer au coton bio, selon Yvon Chouinard, aurait été contre leur principe de faire des produits de la meilleure qualité possible avec le moins de dommages environnementaux possible.

Ce changement ne pouvait toutefois pas se faire facilement. A l’époque, il existe très peu de producteurs de coton certifié bio dans le monde. De plus, sa production nécessite une haute intensité de main-d’œuvre. On arrive donc à des coûts plus élevés de 50% à 100%, par rapport à du coton classique. Il faut encore préciser que le sportswear en coton représente alors près de 20% du chiffre d’affaire de Patagonia. De plus, Patagonia a fait mener une étude qui a conclu que pour ses clients, le critère d’achat le plus important était la qualité du vêtement. Le critère auquel il a été donné le moins d’importance étant celui du respect de l’environnement. Les dirigeants de l’entreprise doivent donc prendre une décision pouvant les mener à une perte de revenus et de profits très probable et d’ampleur inconnue. Il n’en reste pas moins qu’en 1994, il est voté l’objectif de ne plus avoir recours à du coton classique d’ici à 1996. Objectif qui sera atteint.

Cette décision a eu diverses implications. Etant donné le peu de disponibilité du coton bio à l’époque, Patagonia a dû abandonner certains partenaires, et certains produits, passant ainsi de 91 produits en coton à 66. En outre, il a fallu remonter jusqu’au début de la chaîne de valeur: trouver des fournisseurs, trouver des personnes sachant travailler avec le coton bio, etc. Devant le peu de disponibilité du coton bio, Patagonia a choisi d’utiliser également du coton transitionnel – identique à du coton bio, mais non certifié – ainsi que de vendre des « habits fait avec du coton bio » plutôt que des « habits bio » afin de ne pas tromper le consommateur. En effet, pour des raisons techniques et de qualité, les teintures et fils utilisés ne pouvaient pas être bio.

Malgré les nombreux obstacles, ce changement s’est avéré être un succès. Les designers et producteurs ont dû véritablement apprendre « comment faire un habit » de A à Z, en suivant le processus tout au long de la chaîne de valeur. Il en a résulté des produits pensés avec une grande attention, d’excellente qualité, et qui se sont donc très bien vendus. En s’éduquant, en se penchant de près sur leur chaîne de valeur, les employés de Patagonia ont réussi à créer des produits de qualité supérieure à ceux qu’ils proposaient jusqu’alors. Surtout, cette amélioration s’est faite sur la base d’une décision visant à réduire l’impact environnemental de l’entreprise.

Dans son livre, Let my people go surfing, Yvon Chouinard écrit à propos de ce changement que « chaque fois que nous avons choisi de faire ce qui est bon, cela s’est avéré être plus rentable. » Il ajoute également que « notre programme d’évaluation environnementale nous éduque, et avec l’éducation, nous avons des choix. Lorsque nous agissons positivement sur la résolution de problèmes, au lieu d’essayer de trouver un moyen de les contourner, nous avançons plus loin sur la voie de la durabilité. »