Interview – Yvan Maillard Ardenti, sur l’initiative pour des multinationales responsables

Aujourd’hui, nous rencontrons Yvan Maillard Ardenti, qui travaille comme Chargé de programme Entreprise et droits humains chez Pain pour le prochain. Yvan est également consultant en gestion durable chez evolutio.conseil et chargé de cours dans plusieurs hautes écoles de gestion et universités. Auparavant, il a travaillé comme analyste d’entreprise et conseiller en investissement durable pour Inrate SA, une agence d’évaluation de la durabilité. Il est membre des comités de Transparency International Suisse, de Label STEP pour des tapis équitables et des Artisans de la Transition. Yvan détient un master en sciences environnementales de l’Ecole polytechnique fédérale de Zürich (EPFZ).yma

Yvan, peux-tu nous dire quelques mots sur toi et ton rôle par rapport à l’initiative pour des multinationales responsables?

Je travaille comme Chargé de programme “Entreprises et droits humains” chez Pain pour le prochain. Mon rôle pour l’initiative consiste entre autres à expliquer l’opportunité que présente l’initiative à des entrepreneurs et des chefs d’entreprises afin d’obtenir leur soutien. Nous souhaitons avoir le maximum de voix d’entrepreneurs qui soutiennent l’idée que les droits humains doivent faire partie de tout bon modèle d’affaires.

Le texte de l’initiative prévoit l’introduction dans la loi d’un devoir de diligence des entreprises. Elles devront donc garantir que leurs activités ne violent pas les droits humains et ne portent pas atteinte à l’environnement. Ce devoir de diligence vise-t-il davantage à rendre les entreprises proactives, ou au contraire, vont-elles plutôt devoir corriger des problèmes en leur sein et chez leurs fournisseurs?

Notre initiative a clairement une forte dimension préventive. L’obligation de devoir de diligence servira d’encouragement pour les entreprises à faire une analyse sérieuse de leurs risques en matière de droits humains et à prendre des mesures correctives si nécessaire pour réduire leurs impacts négatifs. De plus, l’initiative exige que les entreprises publient des informations sur les mesures prises.

J’ai pu lire – sur le site de Public Eye – que l’initiative peut être mise en oeuvre sans bureaucratie. J’avoue que cela fait partie des rares doutes que j’ai quant à celle-ci! Peux-tu nous expliquer comment cela serait possible?

L’obligation de diligence s’appliquera de manière indirecte, sans bureaucratie supplémentaire. Car avec l’initiative, les entreprises, qui n’ont pas rempli leur devoir de diligence, risquent de devoir payer des dédommagements si l’une de leurs filiales viole les droits humains et cause un dommage à des riverains, par ex. en polluant leur nappe phréatique. Ce mécanisme devrait inciter fortement les sociétés à prendre les mesures nécessaires pour éviter de payer des dédommagements.

Peut-on considérer que le « Swiss made », réputé pour être gage de qualité, doit désormais comprendre la protection de l’environnement et des droits humains?

Oui, la qualité suisse est en effet synonyme d’exigences élevées, de travail soigné et de relations d’affaires loyales. Cette qualité suisse doit désormais comprendre également la protection de l’environnement et des droits humains à l’étranger.

Comment estimes-tu l’impact d’une telle initiative sur l’économie suisse, mais aussi sur celle de nos pays voisins?

En garantissant le respect des droits humains et de l’environnement, l’initiative renforcera notre place économique et la qualité de nos produits et des processus de production. Samuel Schweizer, de l‘entreprise Ernst Schweizer SA (construction métallique, 500 employés) le dit très bien: «Toutes les entreprises seront protégées, si personne ne peut faire du profit à court terme sur le dos des êtres humains et de l’environnement».

Comment une affaire telle que celle du benzène dans les téléphones portables aurait-elle été « traitée » par les opérateurs de téléphonie si l’initiative était déjà été mise en œuvre?

L’initiative aurait pour effet d’obliger les revendeurs de téléphones portables à conduire une analyse plus poussée de leur chaîne d’approvisionnement. Le benzène est utilisé dans la production de téléphone bien qu’il soit toxique et qu’il provoque des milliers de cancers chez les travailleurs. Les revendeurs exerceraient une plus grande pression sur les fabricants de téléphones portables afin que ceux-ci bannissent le benzène de la production. Des alternatives au benzène existent et coûtent moins d’un franc de plus par téléphone.

Un grand merci à Yvan Maillard Ardenti pour son temps et ses réponses passionnantes!

 

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Les sciences citoyennes pourraient être l’avenir de la RSE

Nous l’avons encore vu récemment avec l’initiative pour des multinationales responsables, l’audit et la vérification par tierce partie sont au centre des débats sur la responsabilité sociale.
L’une de ces problématiques est le conflit d’intérêts pouvant exister entre la compagnie demandant l’audit, et la firme le réalisant. Quelle est vraiment l’indépendance de l’auditeur si celui-ci est payé par l’entreprise qu’il contrôle?

Et si une entreprise demandait à des citoyens « ordinaires » d’effectuer cette validation externe? On pourrait pour cela s’appuyer sur le modèle des sciences citoyennes, qui prend de plus en plus d’importance, notamment avec le « big data ». Des citoyens qui collectent des données sur les entreprises pour déterminer si elles sont responsables ou non, c’est alléchant. Si jusqu’à présent, en matière de responsabilité sociale, les individus ont surtout la possibilité de « voter avec leur porte-monnaie », il serait peut-être temps de passer à une étape suivante. smartphone-590105_640

J’ai eu récemment une discussion très intéressante avec Jean-Paul de Vooght, qui a écrit un article tout aussi intéressant sur le sujet. Les possibilités semblent prometteuses, mais les questions sont nombreuses!

Comment mettre cela en place concrètement? On imagine volontiers une application smartphone sur laquelle tout individu pourrait rentrer des données. Mais quelles données? Et d’où viendraient-elles? Chaque citoyen pourrait faire un petit rapport, photos à l’appui, d’une éventuelle faute commise par l’entreprise, dans les droits humains ou dans l’environnement. Mais d’un rapporteur à un délateur, il n’y a qu’un pas…Et s’il peut y avoir conflit d’intérêts entre une entreprise et son auditeur, rien n’empêche que ce soit le cas avec des individus « lambda ».

J’aime cette idée de « whistleblower externe », mais je ne suis pas sûr de la façon dont cela pourrait être mis en place. On pourrait aussi imaginer de prendre le côté positif des choses: un citoyen pourrait signaler un comportement exemplaire, une campagne de sensibilisation à laquelle il a été sensible, etc.

Comme je l’ai dit, j’ai le sentiment qu’il y a quelque chose à faire dans cette articulation entre sciences citoyennes et RSE. J’ai surtout envie de lancer la discussion, peut-être aurez-vous des idées?!