Anniversaire – 11 – Responsabilité

Voila aujourd’hui 11 ans que ce blog existe. Cela paraît très long et très court en même temps. Très court, car cet anniversaire correspond également à celui de la catastrophe de Fukushima, qui me semble s’être produite hier.

Si le lancement de ce blog a eu lieu ce même jour, c’est un hasard. Mais en même temps un signe. Une catastrophe posant d’immenses questions de responsabilités s’est produite il y a 11 ans. La question de la responsabilité organisationnelle s’est posée ce jour-là, au-delà des responsabilités individuelles.

Elle se pose encore aujourd’hui, autour de la guerre en Ukraine. De nombreuses entreprises ont mis fin, ou tout au moins mis en pause leurs activités en Russie. Certaines se sont mobilisées pour aider la population ukrainienne ou pour diffuser des informations factuelles à celle de Russie. Mais d’autres sont complices de ce qu’il se passe. Complices d’avoir enrichi un régime autoritaire, dans le seul but de réaliser du profit. Et bien sûr, c’est tout le secteur des énergies fossiles qui a là une fois de plus l’occasion de se remettre en question.

J’ai lu à plusieurs reprises qu’après Pearl Harbor, les Etats-Unis étaient passés en trois mois d’une économie civile à une économie de guerre. Pourrons-nous nous aussi passer à une économie durable et responsable d’ici à la fin de l’année, tout en sauvant les vies ukrainiennes et russes sacrifiées au nom de la folie de quelques hommes?

Je souhaite que ce drame et le rappel de Fukushima nous poussent à effectuer ce virage que nous aurions dû effectuer il y a des dizaines d’années. Qu’au-delà de la tristesse que tout cela nous inspire, nous trouvions l’énergie pour continuer à œuvrer pour aller vers un monde plus responsable et plus juste.

Publicité

Ministry for the Future – Don’t Look Up – Vision

Au cours des derniers mois, il m’a été donné de lire ou visionner deux œuvres de fictions ayant pour thème le changement climatique: The Ministry for the Future, le roman de Kim Stanley Robinson, et Don’t Look Up, disponible sur Netflix, avec Leonardo DiCaprio et Jennifer Lawrence.

J’aimerais prendre quelques lignes sur la vision que transmettent ces deux fictions.

Dans Don’t Look Up, c’est une vision réaliste et très pessimistes que l’on donne à voir au spectateur: nous sommes condamnés et quoi que nous fassions ou disions, les décideurs et la majorité de la population n’en tiendra pas compte. On sort du film lessivé par la bêtise de ses protagonistes et sans grand espoir sur notre propre avenir. Dans Ministry for the Future, la vision est réaliste elle aussi, parfois dure, mais propose une note d’optimisme inspirante. On referme le livre en se disant que ça va être difficile, qu’il faudra être drastique, mais qu’il y a un espoir.

A quelle vision voulons-nous adhérer? Bien sûr, des deux options proposées la plus attirantes est celle de Ministry for the Future. On peut y arriver, ça va être difficile et le coût sera élevé, mais ça reste possible. Mais qui va transmettre cette vision? C’est le rôle des organisations, et de leur responsabilité, que je veux interroger dans les mois à venir. Qui se doit de porter la vision que nous voulons défendre?

Dans The Myth Gap: What Happens When Evidence and Arguments Aren’t Enough, par Alex Evans, l’auteur démontre qu’il nous manque des mythes, des histoires sur la base desquelles construire nos actions. Il y a une expression qui dit : « si les faits prouvent, les histoires font bouger ». Fort de plus de vingt ans d’expérience en tant que conseiller politique dans le domaine du climat et du développement, Evans se concentre sur l’idée que ce ne sont pas les gens qui façonnent les histoires, mais plutôt nos histoires qui nous façonnent en tant que personnes. Il nous met au défi d’utiliser notre capacité à raconter des histoires collectives pour imaginer un récit dans lequel nous pourrions vivre dans les limites de l’environnement, en partageant des dialogues de rédemption, de restauration et de renouvellement, pour nous aider à trouver notre chemin en ces temps incertains.

Et si les organisations, y compris les entreprises privées, prenaient ce rôle de porteuses de vision? Cela implique d’aller encore au-delà des pratiques de responsabilité d’entreprise actuelles. Il s’agit d’aller plus loin que le reporting d’indicateurs, plus loin que de simples pratiques managériales.

Il faut raconter une histoire, être capable de dire « Le monde du futur, voici comment nous le voyons, et voici comment nous comptons rendre cela réel ».

Je vais faire en sorte d’explorer ces visions dans les prochains mois, et j’espère vous trouver nombreux et nombreuses ici pour partager nos découvertes.

Rétrospective – Perspectives – Détermination

Alors que l’année 2021 s’est achevée, chacun est amené à tirer le bilan d’une année à nouveau pas comme les autres, et à envisager les perspectives pour l’année à venir. Nous ne sommes toujours pas arrivé à ce que l’on a trop rapidement appelé la nouvelle normalité, le « new normal ». Nous sommes toujours dans une situation entre-deux. En attente de sortie de pandémie.

A vrai dire, cela ne m’a pas empêché d’avancer. C’était important pour moi d’entretenir ce sentiment d’aller de l’avant. Il a simplement fallu admettre que le chemin allait s’avérer encore plus tortueux que d’habitude! Moi qui ai l’habitude de préparer tous les trois mois une vision pour les 90 jours à venir, je me suis souvent retrouvé à mi-parcours abasourdi par la tournure des événements. Je me suis souvent senti dans la peau du Capitaine Haddock, dans ce meme bien connu où on le voit, l’air perdu, dire « What a week, heh? » et Tintin de lui répondre « Captain, it’s Wednesday »!

Faire un bilan serait trop long, mais j’aimerais souligner quelques highlights, qui ont bien résumé mon année.

À l’Institut des sciences de l’environnement, nous avons organisé, à deux reprises, une session de « Shut up and Write ! » en ligne. Cette initiative s’est avérée extrêmement utile. Non seulement elle a aidé nos collègues à se concentrer sur leur écriture, à une époque où ils sont constamment dérangés par des emails, des appels téléphoniques, des réunions, des notifications d’applications… mais elle a également contribué à créer un sentiment de communauté, d’appartenance, alors que la plupart d’entre nous travaillaient à domicile.

En lien avec cela, j’ai réalisé qu’aider les autres est le meilleur moyen de s’aider soi-même. En servant les autres, on peut renforcer l’image de soi en tant que personne indépendante, proactive et forte. Je ne peux que recommander aux personnes qui se sentent victimes de la situation de trouver un moyen, quel qu’il soit, d’aider leur prochain.

Au niveau de mes activités de consulting, j’ai été embauché pour coacher une personne qui débutait dans un nouveau rôle de leader global de la durabilité dans une entreprise internationale. Nous avons travaillé sur des questions de responsabilité sociale, de durabilité, de leadership ainsi que de management. Une expérience passionnante pour moi – et, je crois, utile pour cette personne! J’espère pouvoir obtenir de nouveaux mandats de ce genre en 2022.

Pour ce blog, j’espère pouvoir y écrire plus souvent. J’aimerais l’intégrer dans ma routine matinale, quelque part entre mon réveil à 05h30 et le début du travail à 08h30. Si l’un ou l’une d’entre vous à des conseils pour les habitudes d’écritures, je suis preneur!

Surtout, je souhaite pour 2022 que le « nous » devienne de plus en plus grand, et que notre « présent » s’étende dans le temps. Que notre sens de la communauté s’élargisse, pour inclure toujours plus de personnes dans notre cercle, et que nous prenions en compte dans ce que nous faisons maintenant une vision de plus en plus à long terme. Je souhaite que ce soit votre cas, votre sentiment. Je sais que les lecteurs et lectrices qui passent par ici réalisent un travail incroyable tout au long de l’année. Continuons sur cette voie, la seule possible, avec optimisme et détermination.

Bien-être – Croissance – Partie I

Il y a quelques temps, j’écrivais un bref article sur nos besoins, la notion du bien-être, et notre incapacité à le mesurer ou le déterminer – et à quel point nous aurions besoin de nous questionner sur notre bien-être et ce qui le compose à une période où nous devons nous passer d’un certain nombre de produits ou de services.

J’ai donc voulu reprendre quelque notes qui restaient au fond d’un tiroir, en espérant que cela apporter matière à discussion. Je le fais sans grande prétention, car il s’agit plutôt d’éléments descriptifs.

L’un des postulats forts de l’économie écologique est de remettre en cause l’utilisation de la croissance comme mesure du bien-être. De manière générale, cela se traduit par la recherche d’alternatives au PIB comme indicateur du développement et du bien-être d’un pays ou d’une région donnée.

Selon l’Office Fédéral de la Statistique (OFS), le PIB se définit comme « une mesure de la performance d’une économie nationale. Il mesure la valeur des biens et services produits dans le pays pour autant qu’ils ne soient consommés pour produire d’autres biens et services, autrement dit, il définit la valeur ajoutée. »[1]

Le PIB est composé d’une addition des éléments suivants : consommation, investissements, dépenses gouvernementales, et exportations. A ces éléments, on soustrait les importations et l’on obtient ainsi le PIB.

Historiquement, Adam Smith avait déjà posé la question de savoir s’il existe une différence entre une simple transaction monétaire et une véritable adjonction au bien-être d’une nation. Plus tard, Alfred Marshall a déclaré que l’utilité, plutôt que la tangibilité, devait être considérée comme le véritable standard de production et de richesse; impliquant de ce fait que l’importance économique d’une chose se trouve non pas dans sa nature mais simplement dans son prix sur le marché.

Les exemples sont nombreux et nous n’allons pas tous les énumérer ici; le fait est que la question de la mesure du bien-être a été posée depuis plusieurs siècles, et que les réponses apportées ont été variées.

Plus récemment, les critiques à l’égard de la croissance économique comme instrument de mesure du bien-être se sont fait entendre – et se sont principalement cristallisées autour du PIB. L’argument de base est celui déjà évoqué plus haut, à savoir que le PIB n’a dès le départ nullement vocation à mesurer le bien-être : c’est un instrument de mesure de l’activité économique. En allant plus loin, on peut identifier 4 problèmes avec le PIB :

  • Il interprète toute dépense comme étant positive et ne distingue pas les activités génératrices de bien-être des activités réductrices de bien-être. Une marée noire augmente le PIB par le simple fait que des individus vont être engagés pour nettoyer les côtes.
  • Le PIB ne prend pas en compte les « événements qui améliorent réellement le bien-être dès lors qu’ils n’apparaissent pas sur le marché»[2]. Par exemple,  la simple action de récolter des légumes dans son propre jardin potager pour en faire un repas n’est pas incluse dans le calcul du PIB, alors que l’achat d’un repas similaire dans un supermarché le sera. Le volontariat ne sera pas non plus pris en compte.
  • Les services rendus par les écosystèmes (pollinisation, régulation de l’atmosphère, etc.) n’apparaissent pas non plus dans le PIB.
  • Le PIB ne tient pas compte des inégalités de revenus entre les individus, qui ont pourtant un impact important sur le bien-être.

Un point sur lequel s’accordent plusieurs auteurs est qu’il existe généralement une corrélation positive entre croissance du PIB et augmentation du bien-être, mais qu’il n’y a pas pour autant de lien de causalité directe. Une étude de l’OCDE a conclu qu’une économie « plus riche sera mieux à même de créer et de préserver les autres conditions de nature à améliorer le bien-être, notamment un environnement sain, la possibilité pour l’individu moyen d’accomplir au moins 10 années d’études et la probabilité de mener une vie relativement longue en bonne santé. »[3] En d’autres termes, un pays présentant un PIB élevé est davantage susceptible de proposer à ses habitants des conditions nécessaires au bien-être (prospérité, santé, bonheur), mais le PIB lui-même n’est pas directement synonyme de bien-être.

Même ce lien indirect est parfois remis en cause. Herman Daly va jusqu’à parler de « croissance non-économique » ou de « croissance non-rentable ». Cet auteur a en effet mené plusieurs études sur la relation entre croissance et bien-être. Dans son ouvrage Ecological Economics – Principles and Applications, il montre la relation entre le Produit National Brut (PNB)[4] et l’Index of Sustainable Economic Welfare (ISEW)[5] en s’appuyant sur différentes études. Il explique notamment que si croissance du PNB et croissance de l’ISEW sont positivement corrélés aux Etats-Unis, cette corrélation est faible. Elle devient même non-existante, voire négative dès les années 1980. Daly en conclut que le « bénéfice » de la croissance à travers lequel on justifie habituellement le sacrifice de l’environnement et du bien-être social n’existe probablement pas.[6]

Dans le même ordre d’idée, Manfred Max-Neef – sur les théories duquel s’appuie Herman Daly – avance l’hypothèse d’un seuil – « Threshold Hypothesis » – selon laquelle il semblerait que pour chaque société existe une période durant laquelle la croissance économique, telle qu’on la mesure habituellement, apporte une amélioration de la qualité de vie, mais seulement jusqu’à un certain point ; point au-delà duquel, s’il y a davantage de croissance économique, la qualité de vie commence à se détériorer.[7]

Dès lors, si la croissance économique ne peut être utilisée comme une mesure du bien-être, quels indicateurs peut-on retenir ? De nombreuses propositions ont été faites, nous nous pencherons ici sur deux des principales d’entre elles ; à savoir l’Indice de Développement Humain (IDH) et l’Indice de Progrès Véritable (IPV).

A suivre.


[1] Site de l’OFS, http://www.bfs.admin.ch/bfs/portal/fr/index/themen/04/02/01.html (consulté le 13.04.2021).

[2] COSTANZA, Robert, et al., Vivement 2050! Programme pour une économie soutenable et désirable, p.54.

[3] BOARINI, Romina, JOHANSSON, Asa, MIRA D’ERCOLE, Marco, Les indicateurs alternatifs du bien-être, p.7.

[4] L’utilisation du PNB comme unité de mesure peut être surprenante, tant il est vrai que le PNB n’est plus utilisé de nos jours pour mesurer l’activité économique. Ce choix se justifie néanmoins par le fait que l’étude fait référence à une longue période dans le temps, remontant à une époque où l’utilisation du PNB comme outil de mesure était courante.

[5] L’ISEW – IBED en français, pour Indice de Bien Être Durable, est un indice créé en 1989 par John Cobb et Herman Daly. Son fonctionnement est relativement similaire à celui de l’IPV – également proposé par John Cobb – décrit plus loin.

[6] DALY, Herman, FARLEY Joshua, Ecological Economics, Principles and Applications, p.234.

[7] MAX-NEEF, Manfred, Economic growth and quality of life : a threshold hypothesis, p.117.

10 Ans

10 ans. C’est aujourd’hui l’anniversaire du lancement de ce site, et ce n’est pas n’importe quel anniversaire.

J’avoue avoir de la peine à réaliser ce que cela veut dire. 10 ans, c’est trois fois l’âge de mon fils; c’est le même anniversaire que nous avons fêté il y a 18 mois pour l’Institut dans lequel je travaille; c’est l’occasion de voir deux coupes du monde de football ou 4 jeux olympiques hiver+été; c’est le temps de faire 2 tiers du chemin pour les SDGs…

Ces dix années ont été plus ou moins prolifiques en matière d’articles, en fonction de ma disponibilité. Mais avec 256 articles publiés, ça reste une bonne moyenne.

Prolifique aussi, en termes de retour sur investissement. J’ai obtenu des mandats, je suis cité dans un manuel scolaire, j’ai été invité par des entreprises à participer à des panels, à des jurys, simplement sur la base de petites choses que j’ai écrites. Ca aussi, j’ai de la peine à le réaliser.

Ce sont aussi des collaborations ratées, des responsables com’ vexé-e-s, des pertes de temps parfois monstrueuses en rencontrant les mauvaises personnes…

Et j’insiste là-dessus à chaque article anniversaire, mais ce sont aussi 10 ans de rencontres et d’échanges. C’est le principal, et c’est ce qui me fait continuer!

Alors si vous passez par là aujourd’hui, « lâchez un com' », comme c’était déjà ringard de le dire il y a 10 ans, ça me fera plaisir!